Mardi 1er juillet 2008 à 5:38

Je finissais mon verre de thé glacé et je cherchais quelque chose à manger lorsque cela me frappa. Je le savais. De façon inexplicable, je le savais. Pragmatique, j'attrapais un Snickers avant de me diriger vers ma chambre. Mon T-Shirt flottant à peine sur mes épaules, j'enfilais mes chaussures. Ce type de chaussure que les adolescents pensent être le plus normal des souliers alors que les parents se souviennent les avoir achetés au rayon sport du magasin. Je pris le soin de les enfiler encore lacées, en écrasant le contrefort, et de refaire ensuite les lacets pour les serrer le plus possible. Vice issu de ma jeunesse, vice que j'assumais totalement.
Chaussures, pantalon, T-Shirt, montre, portable dans la poche gauche de mon pantalon, pansement sur ma coupure au visage, et picotement sur l'échine. J'étais paré. Au fond de moi, une petite voix me demandait si j'étais vraiment prêt pour cela. Non, je n'étais pas prêt. Pas du tout. Mais je ne le serais jamais, alors autant charger. Il y a un temps pour la réflexion et le doute, et un temps pour la charge. Et là, il était temps. Ca ne se discutait pas. Le rythme de mon coeur s'accélera. Obligatoire. Ma conscience m'incita à regarder une dernière fois la date et l'heure, derniers repères temporels avant ma plongée dans cet inconnu que je ne connaissais que trop bien. Il était minuit pile. Dans une nuit d'un dimanche à un lundi. J'étais donc en pleine fissure du temps. Cela expliquait pas mal de choses. Je me dirigeais vers l'entrée de mon appartement. Dans une dernière action, je balayais d'un regard triste mes affaires. Ma main se posa sur la poignée, et j'étais désormais dénué d'hésitation et de peur. Ou du moins, ces dernières ne m'affectaient plus. J'ouvris la porte et fit mon premier pas dans cette descente ascendante.
Je marchais le long de l'escalier avec un calme qui tenait plus de la résolution que du self-control. Un escalier, avec des marches argentées. Un escalier dont les marches tenaient en place sans aucune fixation. Un escalier dans le néant, l'obscurité était visible partout autour. Son oppression ne m'affectait pas. Je continuais ma descente sans être aucunement troublé. Soudainement, les Juges apparurent. Des silhouettes encapuchonnées dans ce qui aurait passé à notre époque pour des robes de moine. Des silhouettes rouges et noires, se tenant sur les côtés de l'escalier, marmonnant des dizaines de réflexions simultanéments. Je n'étais pas le moins du monde impressionné. Ils furent de plus en plus, jusqu'à constituer des parois contre lesquelles j'aurais pu appuyer si j'avais tendu un peu mes bras. Leur marmonements continus se transformèrent bientôt en un grondement sourd. J'aurais dû être terrorisé, mais je ne l'étais pas. L'escalier, qui descendait en ligne droite dans un néant opaque, s'arrêta bientôt face au vide, devant le Gardien. Les Juges n'avaient pas bougés, leur grondement sourd s'arrêtant brusquement devant la puissance du Gardien. Gigantesque, le Gardien, silhouette encapuchonnée comme les autres, dégageait une aura qui aurait fait pleurer de terreur n'importe quel être humain. Il tendit un bras vers moi, et se prépara à me balayer d'un simple revers de main. Moi, humain, j'étais devant la Peur incarnée. Je combattis avec la Colère. Laissant cette dernière m'envahir, je rugis si fort que le Gardien poussa un hurlement lorsque qu'il fut détruit. Les Juges fondirent d'un coup, et m'enveloppèrent, avant de disparaître purement et simplement. Je remodelais mes habits à ma guise, une longue cape apparaissant alors dans mon dos, fixée à mes épaules par ma simple volonté.
L'escalier montait, à la marche suivante. Je mis le pied dessus, conscient désormais que j'étais inarrêtable. Les Juges avaient échoués, et j'avais pulvérisé le Gardien d'un simple hurlement qui s'était rapidement évanoui dans le néant. L'escalier montait en ligne droite, de façon symétrique à la descente que j'avais effectuée juste avant. Mais les marches étaient cachées dans l'obscurité, et tout humain aurait forcément ratée la suivante, leur espacement étant irrégulier au possible. Chaque fois que je posais mon pied dessus, la marche devenait argentée comme les précédentes. Des créatures virent bientôt s'ajouter aux marches. Une seule d'entre elles aurait déchiqueté une légion de combattants aguerris. Elles s'enfuirent devant mon simple regard. Une porte apparut plus haut. Encore une dizaine de marches et j'allais l'atteindre. Une porte de cristal, miroitant comme l'ébène. Une main sur chaque battant, j'ouvris d'une pression la porte que tant d'hommes avaient rêvé d'entrevoir un jour.
Je me trouvais désormais sur un sol qui s'étendait à perte de vue sous le néant. Un sol carrelé, lisse, et magnifique. Il se trouvait devant moi. Un vieil homme voûté, appuyé sur une canne à peine droite, ses yeux bleus témoignant de son immense savoir. Des yeux encadrés par des cheveux blancs et une barbe correctement entretenue, égalisant parfaitement le visage par sa faible longueur. Il m'attendait, voûté sur sa canne comme s'il allait tomber dès l'instant où il ne pourrait plus s'appuyer sur quoique ce soit. L'art des apparences. Je compris rapidement l'inutilité de lancer ma puissance contre lui comme je l'avais fait avec le Gardien. Elle ne l'affectait pas du tout. Maintenant c'était le gros morceau. Il rit doucement, d'un rire chaleureux, et me sourit.

- Soit le bienvenu, dit-il.
- C'est sympathique de votre part.

Il haussa un sourcil.

- Oh ? Tu ne t'y attendais pas ?
- Je ne m'attendais à rien, et je m'attendais à tout.

Il acquiesca gravement.

- Certes, certes. C'est évident.
- Evidemment.
- Je ne suis pas ton ennemi, tu sais, affirma-t-il gravement.
- Vraiment ?

L'air autour de nous changea lentement. Des crépitements apparurent et un éclair jaillit de nulle part pour se planter entre lui et moi.

- Cela dit, si c'est un affrontement que tu veux, je peux t'en offrir un.
- A la bonne heure.
- Arrogance, persifla-t-il.
- Jeunesse, répliquais-je.

Le sol disparut, laisse le néant nous envelopper. L'occasion pour moi de dévisager celui qui venais de se redresser sur sa canne et qui me toisais. Une seconde s'écoula et le ciel apparut autour de nous, ainsi que le sol loin sous nos pieds. Une belle plaine, immense, cernée par des montagnes. Décor improvisé pour combat d'éternité. L'éternité devant nous, l'Homme derrière nous. Deux armées apparurent au sol, composées de fantassins à perte de vue. Les tambours de guerre résonnaient dans toute la plaine, rythme stimulant et ô combien galvanisant. J'écartais les bras et me concentrait légèrement, faisant ainsi couler un océan dans l'armée qui me faisait face. L'armée qui se tenait de mon côté fut dévastée par un volcan surgit de nulle part. Je me concentrais de plus en plus, m'aidant de geste pour canaliser ma volonté et mon pouvoir, massacrant des humains par centaines de milliers. De son côté, il fit la même chose, sans bouger d'une autre façon qu'en respirant. Les éléments se déchainèrent les uns contres les autres. Des volcans jaillirent au milieu des océans, pulvérisés par des éclairs rapidement éliminés par des giclées de feu, qui mouraient sous les pluies de pierre. Des créatures improvisées se livraient bataille avant de périr au milieu d'un tel déchainement. L'excitation m'aurait presque gagnée, mais prudent, j'effaçais tout cela d'un revers de main. Mon opposant me sourit, et nous étions désormais sur la Tour. Elle ne ressemblait en rien à une Tour, mais nous l'avions baptisée ainsi, de par son éloignement du monde réel. Actuellement, c'était un jardin rempli de tous les types de fleurs, mais composé d'une majorité de rose. Des colonnes de pierre blanche soutenait la magnifique voûte de cristal au dessus de cet endroit enchanteur et enchanté. Le vieil homme me désigna un siège qui venait d'apparaître. Je le remercia et prit place, tandis qu'il fit de même. Nous nous faisions face, désormais.

- Tu es doué. Et extrêmement jeune, m'annonça-t-il.
- Je suis une exception ? demandais-je, quelque peu étonné.
- Oui. De ce que j'en sais, tu es le premier à être aussi jeune.
- Mon existence n'était pas des plus normales.

Il acquiesca gravement à nouveau. Sa voix prit un ton las et triste.

- Comme nous tous. Mais être aussi jeune...
- ... est la marque des malédictions. Si tant est qu'on croit aux malédictions.
- Je vois que tu es au courant.

Je rit doucement.

- Evidemment.

Ses yeux pétillèrent.

- Evidemment.
- Je sais tout et je ne sais rien, lui dis-je.
- Comme nous tous.

Il se leva et me toisa.

- Tâche de ne pas te laisser emporter. Tu es encore très jeune.
- Je ne sombrerai pas dans le mal.
- Tu n'es pas capable de résister à tout ce qui se dressera devant toi. La plupart, mais pas tout.
- "Est-ce ma faute, si notre Père a fait les Hommes moins puissants que Lucifer ?"

Il rit de bon coeur. Moi aussi.

- J'ai encore une question, ajoutais-je.
- Oui ?
- Combien sont passés avant moi ?
- Suffisamment, me répondit mon interlocuteur malicieusement.
- Autrement dit : trop.
- Tu seras heureux lors de la relève.
- Si relève il y a.

Nous échangeâmes encore un regard. Je vis de la compassion dans ses yeux. Je levait la main lorsqu'il m'interrompit.

- Si possible, donne moi une existence paisible. J'ai été suffisamment éprouvé par tout ceci.
- Je vous le promet.

Un sourire heureux s'afficha sur son visage. Une brise passa et fit doucement bouger les roses. Je leva la main, et il disparut. J'étais désormais le seul maître de la Tour. Le poids de ma tâche arriva soudainement sur mes épaules, manquant de m'écraser. Je souhaite effectivement la relève. Mais je tint bon. Je me sentais changé, et c'était normal.


Ce n'est pas tout les jours qu'on prend la relève de Dieu.



Par Pilou le Mercredi 2 juillet 2008 à 0:27
Surprenant.
Par MavangElle le Lundi 7 juillet 2008 à 12:45
On remerciera le Bossu de Notre Dame et Walt Disney.

C'est un texte qui te ressemble bien. Un peu trop aventure-fantasy pour moi, mais ça reste ce que c'est. Même si je pense qu'avec ton talent et ton cynisme, ça aurait pu être plus spectaculaire encore.
 

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