Jeudi 12 juillet 2007 à 6:33

- Ca va comme tu veux ?
- Viens pas me faire chier, veux-tu ?
- Te v'la tout grognon.

J'avais bien besoin qu'on me dise ça. J'avais dormi dans une position franchement inconfortable, sur des pierres dures... comme le roc. J'avais le dos en compote et on pouvait probablement voir des cernes sous mes yeux. Mal partout. Tête cou nuque pieds mains dos mollets cuisses bras avant-bras coudes. Partout. Et cet abruti de Loyd qui me regardait avec ses grands yeux ronds et son sourire niais.

- J'vais t'en coller une pour m'avoir réveillé, tiens, ça t'apprendra.

Il faudrait déjà que j'arrive à me lever. Il rit.

- Excuse moi, c'est vrai que tu dormais comme un ours. Affalé de tout ton poids sur le roc, bouche ouverte et ronflement.

Enflure. Mais il avait probablement raison.

- Tu ne peux prétendre à guère mieux. Bon, cesse tes conneries et aide moi à me redresser bordel !
- Viens par là mon p'tit père... Ourf !

Une fois sur pied, je commençais à entrevoir le reste de la forteresse. Putain, je m'étais endormi au beau milieu des remparts. Première ligne, comme ça si y'avais des assaillants ils n'auraient qu'à me tuer dans mon sommeil. Facile. Et les autres, où sont les fainéants qui restent ?

- Le cinquième bataillon, où qu'il-est ? demandai-je en me grattant la tête.
- Tu suis les macchabés et t'auras p'tet le chef.
- Merde.
- Comme tu dis.

C'est vrai que y'avais des morts un peu partout. Non. Y'en avais partout. Pas un peu, partout. Et du sang aussi. Rien de surprenant, quoi. On est au beau milieu d'une forteresse, alors des morts, pensez-vous, rien d'anormal. Même si là y'en avais un sacré paquet. A perte de vue.

- On est les derniers ?
- Mais noooon. On a encore quelques centaines de bonhommes dans la cour du donjon.
- Ouais m'enfin...

Je glissai un oeil du côté qui ne me montrait pas l'intérieur de la forteresse.

- Ils sont encore une bonne dizaine de milliers, en face.
- Et alors ?

Ouais. Il avait raison. Et alors ? On va tous crever. Après tout, rien de surprenant. J'étouffai un baillement lorsqu'il commença à m'entraîner vers le donjon et les autres. Ouais. Trois cents bonzhommes maxi, tous aussi fourbus et épuisés que moi. Presque tous aussi blasés, pour ce que je pouvais en voir. Nickel. On allait faire le grand saut avec des types qu'on comprendrait un minimum. Joie. Un gugusse grimpa sur un tonneau et commença à nous dire que l'ennemi arrivait. Te fatigue pas ducon, formation équipement salut claquement de bottes c'est notre boulot, on est soldats de profession. La paye c'est en option, si on survit. La belle formation que voilà, un bon vieux carré défensif des familles, avec l'épée tirée toussa on aurait presque l'air cool. Mais bon, l'ennemi arrivait. Ce couillon de Loyd à côté de moi, je me sentais plus blasé que jamais.

- La vache, c'est triste ce carré.

Sacré Loyd. Quel sens de l'observation. Remarque, un dernier carré n'est par définition jamais joyeux.

- Faudrait pousser la chansonette un minimum.

Mais pourquoi tu me glisses ça à moi, vieux ? Faut le dire au reste du groupe.

- Eh, tu m'écoutes ?

Bien obligé.

- Tu as pas une idée de chanson, là ? On pourrait rire un coup, c'est notre dernier jour sur Terre.
- Tu te rappelles de cette chanson qu'on chantait dans l'auberge juste avant leur arrivée ?
- Ouais. Tu penses que... ?
- Bah essayons.

Et on a commencé à chanter. A deux couillons. Les deux abrutis du milieu de rang première ligne se sont mis à chanter. Moi, pas fort. Loyd donnait toute la puissance de sa voix. Pis le mec à côté de moi s'y est mis aussi. Pis plusieurs autres. La vache, ça marche son truc. Au bruit qu'on fait, les dix premiers rangs doivent chanter là. Au moins les dix premiers !

- Dis, Loyd, tu veux en venir où avec cette connerie ?
- Ben je sais pas, je me disais c'était triste de crever comme ça. On pourrait les attaquer, aussi, plutôt qu'eux nous attaquent.
- Vil fourbe. Tu me donnerais presque espoir.
- Ah non, je te rassure, c'est foutu d'avance.

Possible. Mais avec presque les trois cents gugusses qui chantaient cette chanson de guerrier, on se sentait pousser des ailes. L'adrénaline. On la sentait monter dans nos veines. Ah, voilà les ennemis. Rooooh un beau rectangle. Belle formation.

- Loyd.
- Hum ?
- Elle est belle leur formation.
- Ouais.
- Ca donne envie de leur rentrer dedans.
- Pour sûr.

La vache, c'est parti de deux zèbres et maintenant voilà que tous les autres bouffons qui nous suivent chantent aussi. Mais je me marre. Je me marre ! J'ai envie de rire c'est terrible. Ils commençaient à taper sur leurs boucliers, ca faisait un vacarme du tonnerre. Plus possible que Loyd m'entende avec ça. Roooh la belle formation ennemie. Envie de rire. Cogner. Rire. Comme un dératé, je m'élance vers les ennemis. Un truc me suit, probablement Floyd. Nom de dieu je rigole. Je cours droit sur une formation de lances ennemies, mais qu'est-ce que je rigole. Les autres nous ont suivis, au bruit qu'ils font.

On leur est rentré dedans franchement violemment. Ca oui, on les a complètement piétinés, écrasés, on était tous emportés par cette poussée d'adrénaline. Et moi, j'ai rigolé. On a mangé le deuxième service, on s'est fait tailler en pièces un par un. Et j'ai rigolé. Loyd aussi rigolait. Je rigolais toujours lorsque cette épée est passée dans mon ventre. Je suppose que j'aurai dû avoir mal, mais j'ai préféré rire deux fois plus fort et décapiter d'un revers de lame le possesseur de cette épée. Loyd aussi avait quelque chose dans la poitrine, et il continuait à rigoler. J'ai trébuché, et je me suis rattrapé à lui juste à temps pour qu'on se fasse empaler par une lance mal placée. Il est mort de rire. Moi aussi.

Putain, ce qu'on a rit le jour de notre mort. C'était formidable.

Par MavangElle le Mercredi 25 juillet 2007 à 1:20
Tes textes sont bien particuliers, avec ce petit "je ne sais quoi" qui nous les fait les dévorer de long en large. Celui-ci est tout particulièrement réussi et marquant. Surtout la chute. Bien joué !
 

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