La voiture de Laura fit un virage relativement propre et s’arrêta pile à sa place. J’ai posé un pied sur le sol du parking et j’ai jeté un œil aux alentours. Un parking souterrain. C’était la descente dans ce même parking qui m’avait fait sortir des mes ruminations, plus que Niels, en fait. Et il y avait quelque chose de particulier à propos de ce parking. Il était propre. Sur le point de vue de la définition, cela rapprochait nettement plus l’endroit d’un garage que d’un parking, mais le nombre de places était trop conséquent pour être autre chose. Je me suis baissé et j’ai tracé une courbe à la surface du sol. Mes mains étaient à peines salies. D’habitude, ce genre d’endroit possède toujours une foutue flaque d’huile ou d’essence qui traine, ou même des traces d’eau créées par les voitures trempées qui arrivent. Mais là, niett, schnoll, nada. Un suisse aurait du mal à rendre cet endroit plus propre qu’il ne l’était déjà, ce qui n’est pas peu dire.
- On peut savoir ce que tu fous ? me demanda Niels tandis que Laura fermait sa voiture à clé.
- J’admire tes compétences de ménagère.
- Pardon ?
- Je crois qu’il veut dire que Nowhere Land c’est vachement propre, répondit Pierre à ma place.
Je plissais les yeux en direction de Niels, attendant sa réponse. Si Pierre s’était fait la même réflexion aussi vite, c’est qu’il y avait effectivement quelque chose de pas net derrière ça. Enfin non, ce n’était pas le fait qu’il ait fait la réflexion qui était anormal, c’était qu’il l’ait fait remarqué. Pierre parle tellement peu que lorsqu’il se met à prononcer des mots on en viendrait presque à être surpris. Il ne dit donc que le strict nécessaire, et si lui aussi il considère que ce parking aussi propre qu’un parquet trop ciré vaut la peine d’être noté, ça ne pouvait faire qu’augmenter mon appréhension. Un sol propre n’a rien de dérangeant en soi. Sauf quand le sol propre est entretenu par un maniaque dément et sa pute psychopathe. Mise dans leur contexte, certaines choses purement inoffensives en apparence prennent soudainement une allure moins rassurante.
- Et alors ? C’est Nowhere Land, dit notre leader en haussant les épaules.
Laura se pressait déjà vers un escalier. On était bel et bien dans un parking public. Ou plutôt ce qui fut un parking public. On a grimpé ce que j’ai estimé être quatre étages, et on était arrivés. Un parking souterrain sous un immeuble, voilà qui expliquait l’infrastructure. Maintenant, vu que les couloirs étaient blancs et immaculés, on pouvait en déduire deux choses : premièrement, le décorateur à fait dans la simplicité extrême pour ne pas avoir à se casser les couilles, deuxièmement, le décorateur en question avait été payé pour s’occuper du bâtiment, et Niels ne pouvait pas se permettre ça. Donc ce bâtiment appartenait à quelqu’un d’autre, qui payait les frais de ce cintré notoire. Et un seul type de personne peut engager un gars comme Niels : un mec encore plus cintré que lui. Ca, pour le coup, ça, ça me faisait vraiment peur. J’ai compté cinq virages et un étage supplémentaire à partir d’un autre escalier avant que Laura ouvre une porte qui donnait sur une pièce carrée, blanche du sol au plafond, sans fenêtre, avec deux gros néons en guise d’éclairage. Il y avait une table blanche, au milieu de la pièce, et dessus, il y avait des armes. Beaucoup d’armes. Et pas des petites.
- Bon, ben, servez vous, dit Niels en tenant la porte ouverte pour que nous puissions entrer.
Pierre avança vers la table à laquelle Laura était déjà affairée, et je fis de même. Au moins deux pistolets mitrailleurs, quatre carabines, un fusil d’assaut, trop de flingues, et un fusil de sniper. Non, rectification : un fusil de sniper avec un gros calibre. Le genre gros calibre de chez gros calibre.
- Je ne savais pas qu’on allait chasser le Godzilla, dis donc.
Laura attrapa le fusil de sniper en question, ouvrit la chambre et l’inspecta pendant une seconde. Puis elle entreprit de vérifier les munitions qui allaient avec.
- Godzilla, c’est une tapette, affirma-t-elle.